Ngwe Saung : Le Paradis Perdu6 minutes restantes
Sommaire
- Un mois au Myanmar : mon itinéraire
- Premiers pas Ă Yangon
- Ngwe Saung, la paradisiaque
- Bagan : la vallée aux 2000 temples
- Roadtrip en moto : de Mandalay à Pwin Oo Lyin
- DĂ©couverte dâInle, joyau lacustre du Myanmar, Ă pirogue
Yangonna be alright
DĂ©sertĂ© par le tourisme de masse, Ngwe Saung, situĂ© Ă 190 km Ă lâOuest de la capitale, est un de ces endroits que l’on voudrait garder confidentiel…Â
La veille, la chaleur suffocante de Yangon couplĂ©e Ă mon teint pĂąle m’ont convaincu qu’il Ă©tait temps de m’octroyer une bonne dose de mĂ©lanine. Je me rĂ©veillais aux premiĂšres lueurs du jour et tendais l’oreille vers la rĂ©ception, guettant l’arrivĂ©e de l’agent dâaccueil. Ă ma surprise, je le dĂ©couvrais assoupi sur un banc moins large que mon derriĂšre. J’eus de la peine Ă le rĂ©veiller, mais si j’en croyais mes recherches, l’unique bus pour Ngwe Saung â ma future destination â partait dans une paire d’heures. Je n’avais, hĂ©las, guĂšre le temps de mâapitoyer sur le sort de l’apprenti fakir.
J’obtins quelques ronflements en guise de rĂ©ponse. Le fakir me pria de repasser « plus tard » puisqu’il « y a plein de bus pour Ngwe Saung », dit-il en bĂąillant. Dubitative, j’Ă©tais tentĂ©e de lui rĂ©clamer une attestation sur l’honneur quant Ă la vĂ©racitĂ© de ses propos, car mes recherches sur « l’Internet » prĂ©tendaient le contraire. Tel un politicard, son ton se voulait sĂ»r mais Ă©vasif. Alors, je promis de revenir l’embĂȘter l’heure suivante, ainsi que celle d’aprĂšs…
Bien plus tard, quand je m’apprĂȘtais Ă poser un ultimatum du type « des tickets ou tchi-tchi », le rĂ©ceptionniste avait soudain… DISPARU ! Le temps n’Ă©tait plus Ă la diplomatie.Â
J’attrape son collĂšgue par le col (non) et le supplie de me fournir ces fichus billets pour le Paradis.
â Le bus est dĂ©jĂ parti… je vous rĂ©serve une place pour demain matin ?
â D’accord, mais si je croise votre collĂšgue, je lui ferai manger des tartines Ă la mort-aux-rats.
â Oh, attendez, il y a un autre dĂ©part, ce soir.
â …
Boulevard de la Mort
Vadrouiller sur les routes birmanes de nuit est prĂ©cisĂ©ment ce que je voulais Ă©viter. Une lĂ©gende raconte que certains passagers ne supportant pas les loopings opĂ©rĂ©s par les chauffards de bus rendaient leurs tripes durant le trajet, ce qui provoquait une rĂ©action en chaĂźne terrible. Je me rassurais en me disant que des « trajets compliquĂ©s » j’en avais fait, et me dirigea vaillamment vers le conducteur. Celui-ci m’informa que des travaux de modernisation de la voie allaient prolonger la durĂ©e du voyage. Ce sera donc huit heures dans les montagnes russes. Absofuckinlutely awesome.
22h00. J’embarquais dans un vĂ©hicule Ă©tonnement moderne. Les lumiĂšres sont tamisĂ©es, l’assise est spacieuse, plaid et oreiller sont Ă disposition et la compagnie offre mĂȘme des en-cas. Alors que je m’asseyais confortablement sur mes prĂ©jugĂ©s, le bus, en quittant la ville, se prit soudain pour un quad ! Pourtant coutumiĂšre des trajets locaux, c’est avec dĂ©sespoir que je me mis Ă chercher cette fichue ceinture de sĂ©curitĂ©… portĂ©e disparue.
Maudit soit l’ingĂ©nu qui a privilĂ©giĂ© l’installation de ces indispensables NĂONS BLEUS au dĂ©triment de la sĂ©curitĂ© d’autrui. Je me cramponnais de toutes mes forces Ă l’accoudoir comme Ă ma propre vie. Malheureusement, j’avais la mĂȘme masse musculaire qu’un yaourt allĂ©gĂ© ; mon corps finit par dĂ©fier les lois de l’apesanteur et je me mis Ă croire en Dieu : « J’ai pas envie de crever, je ne suis qu’Ă la saison 2 de Westwoooorld« , furent mes (potentielles) derniĂšres pensĂ©es.
"Tadjiminé, tadjiminé"
Au vue de la mine dĂ©confite des autres survivants, j’en conclus que personne n’avait prĂ©vu de suivre l’entraĂźnement d’un ingĂ©nieur spatial. Notre bolide s’arrĂȘta dans un parking dĂ©sert et il fallut que notre conducteur scande : « TADJIMINĂĂĂ ! » pour que l’on daigna descende du car, les jambes encore flageolantes.
JetĂ©s dans la nuit noire, les passagers s’interrogĂšrent : « C’est oĂč TadjiminĂ© ? ». Pas de rĂ©seau pour me gĂ©olocaliser, mon poul sâaccĂ©lĂšre : sur quelle planĂšte a-t-on Ă©tĂ© larguĂ© ?
Bien qu’extĂ©nuĂ©s, nous convoquons nos derniers neurones pour dĂ©chiffrer : « Ta-dji-mi-néééé ! » le mot qu’articule notre chauffeur en faisant de grands gestes, agacĂ© par notre incomprĂ©hension Ă©hontĂ©.
« Ta-dji-mi-nĂ©… c’est thir-ty mi-nu-tes ! » Ă©lucida un type probablement linguiste. Nous disposions de trente minutes de pause ! Fou-rire gĂ©nĂ©ral.Â
Il est 01h00 du matin, nous rejoignons des stands Ă ciel ouvert oĂč des femmes vĂȘtues en mĂšres noĂ«lÂč attendaient patiemment notre venue. Des dĂ©lices flambent dans les woks ; ils nous faudra des forces avant de reprendre la route.
Âč Sans rire. Il y a vraiment eu une escouade vĂȘtue de bonnets de noĂ«l qui nous attendait avec leur spatule, au beau milieu de la nuit, dans le fin fond du Myanmar.
Ngwe Saung la Paradisiaque
Ngwe Saung, une petite plage situĂ©e Ă 190 km à lâOuest de Yangon.
Le car dĂ©pose chaque passager devant son auberge de jeunesse. J’apprĂ©cie grandement le soin apportĂ© aux touristes, puisque dans ce village du bout du monde, il n’y a aucun bus, ni taxi, le pays Ă©tant encore prĂ©servĂ© de l’hyper-ubĂ©risation de ses activitĂ©s. Il est 04h00 du matin lorsque je rencontre enfin Ngwe Saung. Ma chambre ne sera prĂȘte quâaux alentours de 08h00 (achevez-mooooi). Je me remets Ă peine du jetlag, et les nuits blanches n’ont pas arrangĂ© mon reflet. Il n’y a plus qu’une chose qui compte pour moi : dormir.
La Belle au Bois Dormant
MarĂa, l’espagnole que je venais de rencontrer, partageaiT le mĂȘme objectif. Malheureusement, la rĂ©ception supposĂ©e « ouverte 24/24 » nous snobait : La Belle au Bois Dormant, qui s’avĂ©rait ĂȘtre l’agent d’accueil, gisait sur un banc, Ă la mode birmane. Il ne rĂ©agissait ni Ă nos toussotements exagĂ©rĂ©s, ni Ă nos tapes sur l’Ă©paule. Dans le doute, je vĂ©rifiai qu’il respirait encore.
Finalement, notre raffut alerta le voisinage. Un homme nous dĂ©plia une paillasse au sol et nous invita Ă dormir en attendant le check-in. Lasse de faire des prises de taekwondo aux moustiques, je rejoignais MarĂa. Tant pis pour la sieste, nous attendrons en admirant le jour se lever.
Dream House Hostel
La maison de bois Ă©lĂ©gante comprend seulement quelques chambres. Une volontĂ© des villageois de ne pas faire de cet endroit une destination trop populaire et qui nous permet dâĂ©tablir des relations privilĂ©giĂ©es avec les habitants.
La chambre est… rustique. Mon lit occupe toute la surface d’une piĂšce mal insonorisĂ©e, une moustiquaire pleine de cadavres de ces vampires gĂźt au-dessus de mes draps tachetĂ©es de sang. Les toilettes sont Ă l’extĂ©rieur et j’apprends Ă mes dĂ©pens (toute shampouinĂ©e, donc) qu’il n’y a pas d’eau chaude. La toiture vĂ©gĂ©tale « ajourĂ©e » offre la vision d’un ciel sans nuage. Je prie pour qu’il ne pleuve pas dans ma chambre. Mais alors, pourquoi cette note gĂ©nĂ©reuse, me direz-vous ? Parce que c’est tout ce dont j’avais besoin : m’Ă©loigner du superflu. Sans doute que cette auberge est Ă©loignĂ©e de mes standards, MAIS le personnel est au petit soin, ils servent un petit-dej Ă tomber, je suis Ă dix minutes de la plage et ma fenĂȘtre donne sur le Paradis.
Paradis Sauvage
Oui, allĂŽ, c’est la beautĂ©.
DĂ©sertĂ© par le tourisme de masse, Ngwe Saung est un de ces endroits que l’on voudrait garder confidentiel. Cette plage offre une vision tout Ă fait ensorcelante du Myanmar. Ici, la solitude et le vide inspirent Ă une autre philosophie de vivre. Je savais d’emblĂ©e que j’aurais du mal Ă trouver un bord de mer plus authentique, sauvage et si peu apprivoisĂ©. Ici, câest du dĂ©paysement sans que lâon vient chercher. Quelques instant de beautĂ© gratuits, prĂ©cieux, fugaces sans eau chaude, et (quasi) sans Ă©lectricitĂ©.
Une petite partie de la baie souffre malheureusement dâune frĂ©quentation hors norme. Il est bardĂ© de complexes hĂŽteliers qui jure avec le minimalisme des environs. Ăvitez-la Ă tout prix !
Solitude et gratitude
Quand ma nouvelle amie, MarĂa, me croisait Ă l’auberge, elle s’Ă©criait « Sunset ! » avec tant d’enthousiasme que je ne pouvais lui refuser cette balade de fin de journĂ©e.
C’Ă©tait notre rituel.
Chaque jour, nous assistions inlassablement au spectacle du soleil rouge plonger dans l’ocĂ©an. Je n’avais jamais observĂ© l’astre de ce cĂŽtĂ© du globe â un joyau grenat d’une parfaite rondeur, rutilant sur une voĂ»te d’un bleu le plus pur.
FlĂąner sur ces bancs de sable est une magnifique expĂ©rience qui appelle Ă la mĂ©diation. Il pouvait s’Ă©tirer de longues minutes sans que l’on n’Ă©change un mot et qu’aucune de nous n’en souffre ou s’efforce Ă le briser. Nous Ă©tions simplement soufflĂ©es par la beautĂ©.Â
Une biĂšre Ă la main, un cigare birman de l’autre, nous discutions des heures de notre rapport Ă la solitude. De quinze ans mon aĂźnĂ©, je la trouvais terriblement inspirante.
« Tu sais, l’important c’est de faire ce qu’on aime » me confiait-elle en me montrant un portrait d’elle-mĂȘme d’une dĂ©cennie antĂ©rieure.
J’eus de la peine Ă la reconnaĂźtre. Ses traits et ses cheveux Ă©taient tirĂ©s, elle arborait une mine austĂšre Ă l’instar de son tailleur sombre.
« Toi, tu as de la chance. Tu es jeune et tu as dĂ©jĂ compris l’importance de cultiver ton bonheur par toi-mĂȘme« .
Ă l’Ă©vidence, notre voyage en solitaire ne correspondait pas au stĂ©rĂ©otype du cĂ©libataire endurcie, partant seule, par dĂ©pit. L’aventure avait Ă©tĂ© choisie, et non subie. Le besoin de mettre des kilomĂštres dans nos trains de vie, prendre du recul loin de l’incomprĂ©hension que gĂ©nĂšre souvent cette dĂ©cision… a dĂ©passĂ© les raisons de ne pas partir. Nous partagions toute deux le mĂȘme thĂ©rapeute : le voyage.
Nonchalance Ă la Birmane
La douce vie
Au bord de ces routes en rase campagne, il y avait des stands aux mille trĂ©sors. Nous nous arrĂȘtions au grĂ© de nos envies â pour savourer de dĂ©licieuses brochettes ou saluer les villageois qui y travaillent. Parfois, ils nous serraient dans leurs bras, Ă©mus que l’on porte, nous aussi, les couleurs du Thanaka sur nos joues.
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