Voyageuse Solitaire et Sexisme Ordinaire7 minutes restantes
Voyager seule
Dans l’imaginaire collectif, il semble difficile de concevoir le « sexe faible » comme vaquant à ses occupations en solitaire, comprendre : sans un vaillant bonhomme qui le protégerait de tous les dangers. Voyager seule serait dangereux. Laissez-moi vous dire pourquoi cette pensée est ô combien sexiste.
Voyager seule est courageux, compte tenu de la lumière crue jetée en permanence sur la persistance des violences sexistes et sexuelles que l’on subit dans le monde. Et si les violences contre les hommes sont tout aussi dévastatrices, nous, voyageuses solo, subissons des calvaires indescriptibles liés aux stéréotypes de genre et au patriarcat.
Dans l’imaginaire collectif, il semble difficile de concevoir le « sexe faible » comme vaquant à ses occupations en solitaire, comprendre : sans un vaillant bonhomme qui le protégerait de tous les dangers. Voyager seule serait dangereux. Laissez-moi vous dire pourquoi cette pensée est ô combien sexiste.
cessez de dire qu’il est dangereux de voyager seule
Pointer sans cesse la dangerosité du voyage en solitaire pour les femmes ne fait que participer à l’objectification de celles-ci. Une fois de plus, elles sont présentées comme des proies potentielles, et non comme des sujets avec une vision du monde et des qualités cognitives fonctionnelles pour répondre à ses obstacles… Puisqu’on les assignent sans arrêt au statut de personnes qui subissent. Cette injonction nous inculque très tôt le besoin d’être protégée ou sauvée (coucou les princesses Disney).
Une fois de plus, on infantilise, on dépossède les femmes de leur libre-arbitre pour leur « sécurité ». C’est le même genre d’aliénation qui contribue à exacerber les peurs, en nous dissuadant de sortir du rang. Rien de plus efficace que la politique de terreur pour décourager l’émancipation.
Plus on défendra le sexe jugé comme « faible », avec l’argument mis au service du « tout sécuritaire« , plus la société validera l’idée que la femme NE. PEUT. PAS.
Quelques pionnières
Des générations de pionnières nous ont ouvert les portes ! Ces aventurières obstinées ont rompu avec les conventions de leur temps, remettant en question des préjugés classistes, racistes et genrés.
Martha Gellhorn
“J’ai voyagé toute ma vie, en commençant par les tramways de la ville où j’ai grandi. (…) c’était un beau projet que d’aller partout, de tout voir, de rencontrer toutes sortes de gens et d’écrire là-dessus”, écrivit celle qui a bravé de nombreux interdits, comme embarquer clandestinement dans les toilettes d’un bateau-hôpital pour devenir la seule femme journaliste du Jour J sur les plages de Normandie, mesure qu’elle dut prendre parce qu’on interdisait aux femmes de s’approcher des combats et que son mari, un certain Ernest Hemingway, avait confisqué son accréditation officielle de journaliste.
Ida Pfeiffer
La voyageuse solo de l’ère victorienne, célèbre non seulement parce qu’elle était partie seule, mais aussi parce qu’elle a eu « le culot » de publier des best-sellers décrivant ses aventures, en commençant en 1842 par Reise einer Wienerin in das Heilige Land. Elle n’était ni jeune, ni indépendante financièrement lorsqu’elle se lança dans un pèlerinage à Constantinople (elle parcourut la Turquie, la Palestine, l’Égypte, les bords de la mer Noire et l’Italie).
Junko Tabei
Originaire de Fukushima, Junko est tombée amoureuse de l’alpinisme à une époque où peu de Japonais – et encore moins de femmes – s’y adonnaient. À trente ans, elle fonda un club d’alpinisme féminin pour se donner les moyens de pratiquer son sport et plus tard, elle avait déjà mené des expéditions victorieuses en haut de l’Annapurna III et du mont Everest. Elle a continué à escalader des montagnes sur tous les continents et en 1992, à 53 ans, devint la première femme à avoir escaladé les Sept Sommets mythiques.
Annie Cohen Kopchovsky
Même si elle n’avait jamais fait du vélo auparavant, Annie se lança un sacré défi : pédaler autour du monde pendant 15 mois, tout en gagnant 5 000 dollars, afin de prouver que les femmes peuvent subvenir seules à leurs besoins. Pour cela, elle se fit influenceuse et fut sponsorisée par la compagnie des eaux Londonderry Lithia, et se transforma en panneau publicitaire vivant posant des publicités sur son vélo et ses vêtements. Elle partit des Etats-Unis et voyagea à travers la France, l’Egypte, Jérusalem, la Chine, voyageant parfois sur des bateaux à vapeur.
La paranoÏaque et la putain
Sans compter les « tous les hommes ne pensent qu’à ça » versus. « il ne faut pas généraliser » : Il faudrait se méfier, mais pas trop ! (ces contradictions ont donné naissance au fameux hashtag #notallmen). 🤡 Tantôt tentatrices, tantôt coincées, nous sommes toujours coupables. Plutôt que de dire aux hommes de ne pas agresser, on attend des femmes qu’elles redoublent d’attention, comme si elles étaient responsables de leur condition et des mauvais traitements qui en découlent. Cimer pour la double-peine, allez vous faire une tartine à la mort-aux-rats. Par ailleurs : On. voyage. seule. Nous sommes déjà AU MAXIMUM de la sur-vigilance.
culture du viol et sexisme ordinaire
Ce n’est pas moi qui suis naïve, ou qui accorde ma confiance trop vite. Ce sont eux qui agissent comme des porcs. Et c’est vous qui entretenez la culture du viol. La force du patriarcat n’est rendue possible que par ces abdications quotidiennes, la sanction adressée non pas aux oppresseurs mais à leurs victimes. En justifiant les inconduites des mâles, vous légitimez le viol et les agressions sexuelles.
Phrases types : « Les garçons seront toujours des garçons », « elle était soûle », …
Ce n’est pas mon enthousiasme, ma gentillesse ou la longueur de ma jupe qui me met en danger, c’est ce sexisme puant et banalisé. C’est pourquoi il m’est important d’aller à l’encontre de ces prescriptions sociétales : sinon pour renverser, au moins enrayer un sexisme qui n’a ni nationalité, ni couleur, ni religion.
Continuons de lutter pour que, partout dans le monde, être une femme ne soit pas un facteur de risque pour nos vies. Continuons à déconstruire cette vision masculine de l’aventure. C’est terrifiant mais profondément libérateur.
Une anecdote parmi tant d'autres
Alors que je roupillais profondément dans le dortoir que je partageais avec un compagnon de route, je me suis retrouvée à devoir foutre des chassées, pointure 38, dans ses roupettes. Malgré mes signaux de non-consentement force 12 000, ce fils de Sauron a cru bon de se jeter sur moi, m’écraser de tout son poids alors que j’étais en plein sommeil paradoxal. Ses assauts nocturnes se sont poursuivis aux heures suivantes, au cas-où je céderai à ses avances agressions. Comme une chasse à l’épuisement.
La première personne que j’ai accusée, c’est moi-même. Quand est-ce que j’avais laissé croire que j’étais open ? Est-ce la fois où j’avais dit que j’étais en couple ? Ou quand j’ai insisté sur le fait qu’il n’y aurait rien entre nous si ce n’est une division des frais lié au voyage ? J’ai passée le reste de ma nuit, éveillée. Je ne savais pas si j’avais manqué de fermeté, ni ce qui m’empêchait de partir. J’étais juste sidérée. Et soudain, je comprenais ce qu’il a voulu dire quand il m’avait confié : « En voyage, mes amies me trouvent chiant à la longue ».
Pardon ? « Chiant » ? Hahahaha… attendez, il faut qu’on s’explique.
Petit rappel
Qu’on soit bien d’accord. Il ne s’agit pas d’un dragueur « chiant » voire « un peu relou ». Ça, c’est la version que nous avions toutes intériorisées un jour, parce que Faudel, Tragedie ou Edward Cullen nous ont fait croire qu’insister c’est « mignon« , voire « romantique ». Creepy alert: non. C’est juste des pratiques dignes d’un témoin de Jéhovah, le cimetière de la séduction ! Je fais donc une piqûre de rappel à tous les baroudeurs en mal d’éducation :
- Se prendre un vent, ce n’est pas grave. Ça nous est tous arrivé, on repart avec un petit rhume mais on s’en remet.
- Quand on dit « non », breaking fucking news: c’est non. Ça ne signifie pas « oui » en Klingon, on ne changera pas d’avis demain, il n’y a aucun message caché, rien à lire entre les ligne.
- Personne n’a changé d’avis suite à ⊕ 57 sollicitations. Ce n’est pas être déterminé ou audacieux, c’est tout bonnement du harcèlement.
- Les Restos du Cul n’existent pas. Personne ne cède par charité… céder n’est PAS consentir.
- Tenter de nous faire boire dans ce contexte est une vaine technique de sous-homme. Parce que ➀ j’ai une meilleure descente que toi, bât**d. ➁ Personne n’a envie de s’enivrer aux côtés d’un prédateur qui deviendra potentiellement incontrôlable une fois bourré.
Bref, cet homme était en train de bousiller mon voyage et les souvenirs que j’étais en train de fabriquer. Alors comme Adèle, je me suis levée, et je me suis cassée.
Déconstruire ensemble
On a la 5G, on envoie des gens sur la lune, on travaille sur l’Hyperloop… Quand est-ce qu’on éduquera nos fils comme nos filles ?
J’invite mes sœurs à voyager – sans jamais baisser leur garde car le risque zéro n’existe pas. En revanche, vous serez exposées aux mêmes dangers que vous rencontrez… chez vous ! Dans votre pays riche et « civilisé ». N’allez pas croire qu’il n’y a qu’un seul troudbalus en tournée mondiale. Les agressions de femmes touristes ne sont qu’une facette des violences contre les femmes dans le monde !
En revanche, ne laissez personne induire que vous êtes responsable de ces comportements dégueulasses. Ne vous laissez pas intimider, détruire par un système. Et s’il faut imprimer les semelles de nos Doc Martens dans « leur usine à reproduction », pas de souci. On déconstruira ensemble. ✊
Parenthèse terminée, on peut repartir sur de bonnes tranches de rigolade et des couchers de soleil canons.
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